J’ai la chance d’avoir eu en test pour plusieurs semaines le tube optique ASTRO-Professional 115 ED Triplet. Cette version se différencie de la précédente par l’emploi d’un barillet de maintien du bloc optique nettement plus efficace (notamment côté réglages et stabilité de la collimation). Pour le reste, nous sommes en terrain connu…
A commencer par l’objectif triplet, qui intègre un élément en verre ED japonais de type FPL-53. Ce verre de qualité supérieure assure, théoriquement, un meilleur contraste et surtout une excellente correction du chromatisme résiduel (apparition de franges colorées). C’est cette caractéristique essentielle qui détermine ou non l’appellation d'"apochromatique". Avant d’établir si les performances attendues sont bien au rendez-vous, voici une présentation globale de l’instrument, de ses avantages et de ses inconvénients.
La mécanique : ce tube présente une belle finition, dans la pure tradition des instruments aluminium de la marque allemande. La version standard reçue est livrée sans pointeur et sans valise DeLuxe de transport, mais avec colliers et queue d’aronde de fixation. Le pare-buée est rétractable (longueur du tube pare-buée rétracté : 68 cm ; pare-buée étiré : 82 cm), ce qui facilite grandement le rangement et le transport du matériel. Le poids du tube, avec colliers, est de 6,7 kg. Je l’ai installé sur une ancienne monture Vixen SP/DX. Etant donné ces poids et gabarit moyens, je conseillerai de l’installer sur une monture de type CG5 Go-to au minimum (sur trépied acier grosses sections). Les possesseurs de montures type HEQ-5
ou EQ-6 seront bien entendu encore plus à leur aise, surtout s’ils souhaitent se lancer dans l’imagerie du ciel profond.
L’autre point fort de la lunette réside dans son superbe porte-oculaire 3’’. Très massif, il offre un double système de rotation sur 360° (rotation principale du porte-oculaire, et rotation plus fine du tube porte-oculaire… utile en photo pour peaufiner les cadrages). Mes tests et essais n’ont pas permis de mettre en évidence un problème éventuel de shifting de la mise au point, ni même de soucis concernant un défaut de centrage éventuel lors des rotations des accessoires. Au contraire, même avec une charge importante (1,8 kg d’accessoires, boîtier photo et pièces optiques), la mise au point s’est avérée stable et précise. Un bémol toutefois : le bouton de mise au point démultipliée (vitesse 1:10) « gratte un peu », sans toutefois sembler présenter un manque de précision dans sa rotation. De même, il ne faut pas hésiter à resserrer de temps à autre les vis de maintien du porte-oculaire sur le tube, afin d’éviter des jeux ultérieurs (phénomène rencontré avec les autres lunettes de la marque).
Puisque j’en suis au chapitre des critiques, j’ajouterai le cache métallique qui ferme et protège l’objectif. Placé à l’extrémité du pare-buée, il se visse très difficilement et vient vite à bout des nerfs de l’utilisateur pressé de remballer son matériel. Un cache à emboîtement simple aurait été nettement préférable. Autre point négatif, moins gênant celui-ci : l’instrument mériterait des colliers de fixation un peu mieux finis et cossus. Malgré cela, ils restent tout de même assez faciles à utiliser et à régler.
Essais sur étoile artificielle : la 115 ED reçue était légèrement décollimatée (problèmes durant le transport ?). Heureusement, le nouveau barillet qui équipe l’instrument se révèle presque facile à régler en raison de la présence de quatre séries de trois vis non scellées, ajustables par l’utilisateur. Ces vis jouent latéralement sur les lentilles : il ne m’a fallu ainsi que quelques minutes pour retrouver une collimation parfaite !
A fort grossissement, l’image de diffraction se présente sous la forme d’un faux disque bien défini, entouré d’un anneau classiquement renforcé et de trois anneaux ténus, tous concentriques. Aucun chromatisme n’est décelable.
La plage intra focale est parfaitement lisible, avec une série d’anneaux centraux circulaires, assez renforcés, homogènes, et un anneau extérieur renforcé mais moyennement défini. Aucun chromatisme n’est visible.
La plage extra focale est un peu moins lisible, avec des anneaux centraux un peu moins homogènes, et un anneau extérieur moyennement défini. Aucun chromatisme n’est décelable.
Les plages intra et extra focale apparaissent donc presque identiques, hormis en ce qui concerne leur lisibilité. Autres points à noter, des traces de tension dans l’objectif, visibles sous la forme d’une détérioration de l’anneaux extérieur sur trois points de sa circonférence, traduisent un double problème de mise en température de l’objectif et de serrage un peu excessif des lentilles dans le barillet. Ses faibles tensions provoquent une légère présence de l’astigmatisme, dans la pratique sans grandes conséquences sur les images obtenues.
Aberrations optiques et vignetage : en photographie, les étoiles apparaissent très fines au centre du champ image. Dans l’angle du format 24x36, la coma est assez prononcée mais demeure dans des limites raisonnables. Dans le format APS-C, la coma est moins sensible mais demeure gênante. Les spécialistes du ciel profond devront passer par un correcteur de coma
pour obtenir des images parfaitement exploitables. Le vignetage est peu sensible au format 24x36 et quasi inexistant en APS-C.
Ci-dessous, de haut en bas : aspect d'une étoile au centre du champ, dans l'angle du format 24x36, dans l'angle du format APS-C.
Observations lunaire et planétaire : j’ai eu la chance d’utiliser pour l’occasion le fameux UWA 28 mm ASTRO-Professional. Cet oculaire se révèle remarquable en lunaire, notamment lorsque le fin croissant laisse entrevoir facilement une belle lumière cendrée. Avec un grossissement de 28x et un champ résultant de 2,8 degrés, l’observateur note non seulement de nombreux détails fins dans les cratères mais aussi et surtout de nombreux détails subtils sur la face non éclairée (variantes de tons dans les mers, éjectas autour de certains cratères, etc.). De 133x à 266x, avec d'autres oculaires (Long Eye et zoom Nagler 3-6 mm
), l’image offerte est belle, parfaitement contrastée et résolue. De nombreux détails très fins sont parfaitement rendus. Une des raisons à ces performances provient de l’absence totale de chromatisme et d’un bon contraste. Aucun reflet bleuté n’est visible, même dans les parties les plus contrastées des cratères lunaires. Aucune ombre volante bleutée n’est non plus décelable. A ces grossissements, je n’ai noté aucune trace de liseré coloré sur le limbe lunaire. A 479x enfin, j’ai profité de bonnes conditions atmosphériques pour réaliser des observations très intéressantes, notamment des cratères Eudoxe et Aristote (nombreux détails très fins, spectaculaires, observés dans les remparts).
Ci-dessous, la Lune photographiée au foyer de la lunette + doubleur Canon + EOS 550D. La seconde image, crop à 100% d'un détail de la première, n'a reçu aucun traitement particulier (hormis un rehaussement de la netteté) : elle ne résulte donc pas d'une addition d'images.
Ci-dessous, une image de la Lune prise au foyer (sans ajout d'un doubleur). Le crop 100% centré sur le limbe lunaire montre l'excellente correction du chromatisme (absence de liseré coloré).
Sur Saturne, le bon contraste des images permet de saisir facilement la bande équatoriale principale. Son aspect brun assez sombre est évident, tandis que la division de Cassini des anneaux (bien qu’assez fermés) se repère sans difficulté. Comme pour la Lune, aucun chromatisme n’est décelable. La très bonne finesse de l’image et la luminosité de l’optique permettent de repérer les satellites Titan, Dioné, Rhéa, Thétys ainsi que, plus difficilement, Encelade.
Observations en ciel profond : la luminosité et la résolution sont deux paramètres importants en ciel profond. La 115 ED ASTRO-Professional fournit une luminosité équivalente à un télescope Newton de 170 mm environ, tout en bénéficiant d’une résolution maximale. Pas étonnant dans ces conditions qu’elle soit aussi à son aise sur les amas d’étoiles ouverts ou globulaires classiques. Les amas du Cocher et des Gémeaux sont ainsi parfaitement résolus et piquetés d’étoiles. L’amas globulaire M13 est assez brillant et à la limite d’être totalement résolu. Le couple galactique M81/M82 de la Grande Ourse est contrasté (des détails sont visibles dans la partie centrale de M82 à 61x de grossissement). Les galaxies ténues du Lion sont perceptibles jusqu’à magnitude 12 environ. Le trio de galaxies M66/M65/NGC3628 est vu assez facilement, quel que soit le grossissement. J’ajoute que la planéité de champ est très convenable avec cet instrument, y compris avec l’UWA 28 mm précité : seules les étoiles brillantes situées en bordure d’image apparaissent déformées.
Le test de Roddier : j’ai réalisé un test de Roddier sur l’instrument prêté. Les précisions obtenues sont de λ/3,5 (écart le plus grand), λ/24 (écart moyen), pour un ratio Strehl de 0,93. Ces valeurs témoignent d’une qualité optique très convaincante, d’autant qu’elles s’associent à un bon contraste et à une absence totale de chromatisme. En pratique, cette lunette devrait rivaliser avec les ténors de la catégorie. Ci-dessous, aspect du front d'onde fourni par la lunette, ainsi que l'interférogramme résultant.
Mes conclusions : l’ASTRO-Professional 115 ED Triplet ne présente guère de points faibles. Sa qualité optique générale est très bonne (surtout en tenant compte de son excellente correction du chromatisme), sa conception mécanique est réussie (le tube est guère encombrant), et son ergonomie est très efficace (le porte-oculaire est une vraie réussite). Cerise sur le gâteau, le nouveau barillet de maintien de l’objectif se règle assez facilement (un critère essentiel pour les amateurs exigeants). Côté regrets, le cache de protection de l’optique est vraiment difficile à visser et le porte-oculaire a tendance, au fil des rotations, à subir un jeu préjudiciable (l’amateur devra revisser assez souvent les vis adéquates). Pour le reste, il s’agit donc d’un tube optique de classe qui devrait satisfaire la plupart des amateurs, y compris avertis.